Profitez-en, après celui là c'est fini

Pour votre confort et votre protection, votre ordinateur va être placé sous surveillance et votre accès à l’information va être filtré.

février 16th, 2010 Posted in Parano

Où en sont nos libertés, donc ?
Par un article du Post, je découvre la persistance d’une pratique ridicule : la rafle de numéros du Canard Enchaîné. Lorsque le célèbre « journal satirique paraissant le mercredi » sort une information embarrassante, il peut être un bon calcul pour la personne gênée de piller les maisons de presse afin de s’assurer que l’information ne sera pas diffusée, notamment dans le cas d’une information de portée locale, comme ici, les conditions rocambolesques dans lesquelles Christian Estrosi a assuré sa succession à la présidence du conseil général des Alpes Maritimes par Éric Ciotti — qui se trouve être le rapporteur de la loi Loppsi dont nous allons parler plus loin.

Un article du Canard Enchaîné (3/12/09) que vous aurez peut-être eu du mal à vous procurer si vous habitez les Alpes Maritimes.

Ce qui m’intéresse dans cette affaire, c’est que Le Canard Enchaîné n’a pas de site Internet, ou presque. Le célèbre hebdomadaire ne dispose pour l’instant que d’une page web où l’on peut retrouver des reproductions de ses « unes » et qui permet de s’abonner à l’édition papier puisque, disent-ils, « notre métier, c’est d’informer et de distraire nos lecteurs, avec du papier journal et de l’encre. C’est un beau métier qui suffit à occuper notre équipe ».
Dans un sens, les pratiques qui consistent à clouer le bec au Canard prouvent que son métier reste utile à l’ère du réseau : si on les censure, c’est le preuve qu’ils dérangent. Mais en même temps, on peut mesurer la fragilité de ce modèle de diffusion et de périodicité, surtout quand la grande presse se refuse à donner un écho aux petites et grandes affaires débusquées par le Canard : la plupart du temps, les quotidiens nationaux ne semblent accepter de traiter une nouvelle que si ils en sont eux-mêmes auteurs1 ou si cette nouvelle est déjà connue de tous. Ainsi, une conversation de bistrot par Brice Hortefeux donnera du grain à moudre à Libération pendant des jours, alors que le même journal négligera complètement des nouvelles véritablement importantes. Le principe semble être que le journal se vendra mieux s’il parle au public des nouvelles qu’il connaît déjà et dont il a même forgé la célébrité à coup de messages sur Facebook.
Même si c’est parfois l’anecdote qui prime, on est forcé de constater que des médias Internet réactifs permettent de lever des lièvres avec plus de succès que ne le fait le Canard : Rue89Fakir, Bakchich, Le Post, Arrêts sur image, Mediapart, certains blogs comme celui de maître Eolas, mais aussi les extensions en ligne de journaux papier comme Le nouvel observateur, Marianne2, etc.

Et ceux-là, on ne peut pas les faire oublier en achetant leur tirage, ni espérer qu’ils finiront par sombrer dans l’oubli. Pour l’instant il n’existe pas beaucoup de moyens d’étouffer un scandale qui commence sur un site web informatif sauf à risquer de perdre les apparences de la démocratie.
Cette puissance du web explique sans le moindre doute le besoin que ressent le politique de sur-légiférer Internet (Lsi, Lcen, Davdsi, Hadopi, Loppsi) sous des prétextes vertueux (la rémunération des artistes ; le droit à la vie privée ; la lutte contre la toxicomanie) ou angoissants (le terrorisme ; la cybercriminalité ; la pédophilie).

Une leçon de manipulation dans le journal télévisé de TF1 (9/02/10). Laurence Ferrari commence par évoquer les violences scolaires. Le second sujet traite d'un mystérieux enleveur d'enfants dans le nord (il n'est jamais parvenu à ses fins mais la région vit dans la terreur et TF1 met les choses en scène avec des travelings sur des établissements scolaires filmés depuis une voiture...). Enfin, la loi Loppsi 2 est présentée comme un dispositif dédié à régler ces problèmes notamment par l'instauration d'un couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans et par l'extension du réseau de videosurveillance : "La gauche et les magistrats jugent cette loi liberticide", conclut-elle à l'adresse d'un public qui est sans doute, dans sa large majorité, mûr pour être cueilli et pour accepter sans le savoir qu'on réduise son accès à l'information.

Mais de quoi parle la loi Loppsi2 que l’on nous vend comme bénigne (quelques caméras de plus…), qui vient d’être adoptée et dont le vote solennel aura lieu demain à l’Assemblée ?
De beaucoup de choses, de beaucoup trop de choses sans doute : sécurité routière, contre-espionnage, surveillance3, et surtout, réseau Internet.
Parmi les dispositions,  il y aura la possibilité pour la police de s’introduire chez les citoyens pour installer des logiciels espions sur leurs ordinateurs. Charmant, et en contradiction totale avec les lois de la république qui faisaient jusqu’ici du domicile privé un sanctuaire — hors flagrant-délit. Je suppose que c’est la partie de la loi qui est destinée à faire scandale puis à être abandonnée, qui servira d’os à ronger au conseil constitutionnel (il en faut toujours).
Il y aura ensuite de nouvelles possibilités de croisements de données : fichiers administratifs et policiers existants (casier judiciaire, fisc, sécurité sociale), mais aussi données glanées sur le web (Google, Facebook) et données dont disposent les opérateurs de téléphonie et d’accès à Internet (relevés de communications, connexions).
Pour finir, il y a l’instauration du principe d’un contrôle en aval du contenu du réseau Internet, c’est à dire d’un filtrage. Le prétexte est la pédophilie, qui répugne suffisamment chacun de nous pour faire passer n’importe quelle loi4. On peut compter sur une extension rapide des crimes et des délits concernés, il suffit de se rappeler du destin des prélèvements ADN, autorisés il y a douze ans et qui ne devaient concerner que quelques centaines de pédophiles… Aujourd’hui, le fichier d’empreintes génétiques de la police française recense plus d’un million de personnes.
Finalement ils n’ont pas tort, au Canard enchaîné : pour les faire taire, pour l’instant, il faut courir de kiosque en kiosque pour acheter tout un tirage. Pour faire disparaître du réseau Rue89 ou Backchich, il suffira sans doute d’y trouver un commentaire contenant un lien vers un site illégal qui justifiera un « blackout » général.

Ne nous y trompons pas : l’unique but du contrôle, c’est le contrôle.

Lire ailleurs (quelques articles au hasard) : Bug Brother, Bug Brother bis, Numerama, TheInternets (Astrid, reviens !), PCinpact, PCinpact bis (article qui démontrer que le blocage de sites est déjà possible après action judiciaire), La Quadrature du net, Zythom,…

  1. Et encore : une journaliste d’un quotidien national me racontait récemment qu’elle s’est échinée des mois durant à faire passer un sujet exclusif… Sa rédaction ne s’est finalement réveillée que lorsque les autres journaux ont traité la question… []
  2. Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure []
  3. Novlangue : on ne devra plus dire « surveillance » mais « protection ». Exemple : Une caméra de vidéoprotection. []
  4. En Italie, Silvio Berlusconi utilise la pédophilie (lui, le septuagénaire qui s’est montré à l’anniversaire d’une de ses maîtresses… qui fêtait ses dix-huit ans !) comme prétexte pour interdire la vidéo en ligne, qui entre en concurrence avec son empire médiatique. []
  1. 5 Responses to “Pour votre confort et votre protection, votre ordinateur va être placé sous surveillance et votre accès à l’information va être filtré.”

  2. By EoL on Fév 16, 2010

    … tout cela nous permet enfin de voir
    l´accomplissement ancestral de notre  » Rêve  » :
    celui de l´instauration de notre  » NOUVEL ORDRE MONDIAL « …

  3. By Jean-no on Fév 17, 2010

    @Eol: hmmm, je vois que vous êtes à fond dans la théorie du complot :-)
    Pour ma part je vois un danger à croire que tout ce qu’on entend est faux et tout ce qu’on nous présente comme faux est vrai. Les choses sont plus simples et surtout, personne ne les maîtrise. Les soi-disant « maîtres du monde » sont aussi largués que vous et moi, ça me semble une erreur de croire qu’ils ont un plan. Ils essaient des trucs qu’ils ne maîtrisent pas tellement, et ils consacrent plus d’énergie à cacher leurs gros ratages qu’à les réparer ou même à les comprendre.

    @Jean-Michel : m’étonne pas. Comme quoi, le Canard pince encore.

    @Clément : merci. Effectivement ce décalage lexical semble décidé d’en haut, on est purement dans les « public relations » à la Edward Bernays.

  4. By Jean-Michel on Fév 16, 2010

    N’oublions pas qu’épisodiquement le « Canard Enchaîné » disparaît des étales des groupes de grandes chaînes de distribution dès lors que ce maudit volatile traite de sujets sensibles liés à ces mêmes groupes.

  5. By Clément on Fév 17, 2010

    A propos de novlangue et la « vidéosurveillance » devenant « vidéoprotection », cet article du Monde :
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/02/16/quand-la-videoprotection-remplace-la-videosurveillance_1306876_3224.html

  6. By Bishop on Fév 17, 2010

    Je suis pleinement d’accord avec l’assertion sur le manque de plan de ces « maitres du monde ». Leur unique avantage est d’avoir quelques fois une vision d’ensemble et les informations avant les autres. Le complot se limite la plupart du temps à des actions « pragmatiques » et opportunistes. Laissez couler ou essayer d’incliner les choses, pour les cacher souvent. Guère plus.

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