Profitez-en, après celui là c'est fini

The Net 2.0

juin 26th, 2008 Posted in Hacker au cinéma, Ordinateur au cinéma

Traque sur Internet 2.0 (The Net 2.0, sorti en 2006) est le premier film américain à avoir été intégralement tourné à Istambul. Pour les Turcs, le tournage a été un évènement, les trois acteurs américains présents étaient interviewés et affichés en couverture des journaux. Mais pour Sony Pictures, c’est surtout un film économique destiné au circuit de la vente et de la location de DVDs.
Il aurait coûté trop cher de le faire à Los Angeles avec des acteurs américains, il a donc été tourné à Istambul, en HD-DV, avec des acteurs turcs épaulés, pour les rôles d’américains et pour de nombreux rôles de figuration, par des membres de l’équipe de tournage. Les cascades, impossible à faire exécuter par des autochtones eu égard à l’absence de tradition du film d’action en Turquie, sont réalisées par une équipe russe — pro, pas cher, et pas très nombreux puisqu’un spectateur attentif remarquera que les divers gardes et policiers qui apparaissent au fil du récit sont souvent les mêmes. Les automobiles sont conduites par les acteurs eux-mêmes, à l’exception de l’héroïne qui ne savait conduire que des voitures à vitesses automatiques : qu’à cela tienne, pour elle, ces scènes sont filmées en gros plan et la caméra gigote pour laisser penser que le véhicule se déplace dans des rues cahoteuses. La prise de son et le mixage sonore ont été fait par le réalisateur lui-même, qui joue d’ailleurs dans le film, tandis que le chef opérateur servait aussi de cadreur. Le scénariste s’occupait quand à lui de diriger la seconde équipe. Un système « D » qui serait sans doute en partie impossible à mettre en œuvre dans des pays où les métiers du cinéma sont sectorisés et encadrés de manière plutôt strictes par les syndicats professionnels.

Les acteurs turcs les plus importants dans le film sont des célébrités dans leur pays (ce qui explique l’importante couverture médiatique du tournage) : Halit Ergenç (très populaire), Demet Akbag (célèbre actrice de théâtre), Sebnem Dönmez (qui tient le rôle principal dans un sit-com et qui anime un talk-show populaire), Güven Kiraç (acteur comique très prisé) et Ezel Akay (acteur mais aussi réalisateur).
Les acteurs américains sont en revanche habitués aux petits rôles et aux téléfilms : Nikki Deloach, qui a le rôle principal, Keegan Connor Tracy et Neil Hopkins.
Ce film au rabais est, comme son nom l’indique, une forme de suite au film Traque sur Internet (The Net, sorti en 1995), avec Sandra Bullock, film qui a connu un succès limité mais tout de même pas ridicule1.
Plus qu’une suite, on peut parler d’un remake, puisque l’histoire est la même, l’exotisme en plus. Le réalisateur, Charles Winkler, est le propre fils d’Irwin Winkler, réalisateur du film précédent.

Hope Cassidy est une super-experte en sécurité informatique. En moins de deux, elle se débarrasse d’un virus, on la voit faire sur le portable de son fiancé : il a un virus informatique du type voyant, un de ces virus comme il n’en existe qu’au cinéma et qui affiche un décompte : toutes les données de votre ordinateur seront détruites dans vingt secondes. Dix-neuf. Dix-huit,… Mais bon, ça, Hope, ça ne lui fait pas peur. Trois clics, trois raccourcis claviers, on retient son souffle on serre les fesses, et voilà, c’est fini, le compte à rebours s’arrête. Le fiancé de Hope sait que sa dulcinée est la meilleure dans son domaine mais il est assez triste de voir son amie partir pour Istambul : comme il est paléontologue à Santa Monica, il ne peut la suivre à Istambul où elle vient de se voir offrir un emploi de rêve. Pour la convaincre de rester, James tente le tout pour le tout : « Ça doit être plein de terroriste là-bas ! »« Non, j’ai appelé le ministère des affaires étrangères, il y a sans doute plus de terroristes qui assistent à tes cours que dans tout Istambul ».

Le grand problème de Hope c’est qu’elle n’existe pas, enfin pas beaucoup. Ses parents voulaient avoir trois filles nommées Hope, Faith et Charity (espoir, foi et charité) mais un accident d’avion ne leur a pas permis de voir leur projet aboutir, Hope est donc fille unique et orpheline. Elle connait ses clients via Internet et elle n’a pas d’amis. Son seul contact dans le monde réel, c’est son fiancé James, dont elle se sépare. Une telle solitude devient très problématique lorsque l’identité même de Hope Cassidy est contestée.
En effet, à peine débarquée en Turquie, elle doit faire modifier son passeport et celui qu’on lui rend ne comporte pas son nom mais celui d’une certaine Kelly Ross. Pour tout arranger, Hope ne retrouve plus son permis de conduire. Alors quand elle s’aperçoit que Kelly Ross est soupçonnée d’avoir volé quatorze millions de dollars à des mafieux russes et d’avoir commis trois meurtres, elle est bien embêtée comme on l’imagine aisément. La panique monte encore d’un cran lorsqu’elle ne parvient plus à accéder à son compte Hotmail. Le fonctionnaire du consulat américain qui pourrait l’aider est mort, son amie ZZ, rencontrée à l’hôtel, fait semblant de ne pas la reconnaître et a pris sa place dans la société qui l’a embauchée… Il ne lui reste plus qu’à retrouver Roxelana, l’hôtesse de l’air avec qui elle avait sympathisé lors de son vol.
Afin de récupérer son identité, Hope a une idée : elle va détourner les sommes dérobées aux mafieux russes, tout envoyer sur un compte bancaire créé pour l’occasion et, enfin, utiliser la somme comme moyen de pression contre ceux qui lui ont volé son argent et son identité. Pour mener à bien un tel plan, elle doit bien évidemment utiliser tout son talent d’experte en sécurité informatique et se transformer elle-même en hackeuse.

Le plan fonctionne plus ou moins mais la police capture et interroge Hope. Après lui avoir fait raconter toute l’histoire, la psychologue de la police, le docteur Kavak, ne voit plus qu’un seul moyen pour que Hope prouve la véracité de son récit : il faut qu’elle fournisse les codes du compte en banque sur lequel se trouvent les quatorze millions. Mais comme Hope fait une crise de nerfs, on lui administre un sédatif avant qu’elle ait pu parler. Tant mieux car nous apprenons plus tard que le docteur Kavak est un flic véreux qui travaille main dans la main avec le gentil-fiancé qui n’était pas plus paléontologue que vous ou moi et qui n’a eu une relation amoureuse avec Hope que dans le but de la piéger. Lorsqu’elle se réveille, justement, son fiancé est là, qui lui dit de ne plus s’inquiéter et qui lui explique qu’il a tout réglé. Elle comprend vite de quoi il en retourne et parvient à s’évader. C’est à ce moment-là qu’elle tombe dans les griffes de la cyberpolice turque dont faisait en fait partie son amie hôtesse de l’air Roxelana, et dont fait aussi partie un chauve moustachu rencontré à plusieurs reprises dans l’histoire. On apprend dans les commentaires du film que ce chauve moustachu (Ezel Akay) a été choisi car il correspond exactement à l’idée que le réalisateur se faisait du turc typique. Mais pour les turcs, Ezel Akay a un physique de circassien.
Dans le même ordre d’idée, le réalisateur raconte à quel point les très sonores appels à la prière des muezzins ont pesé sur le tournage (mais on n’en entend pas un seul dans le film) et à quel point il a eu du mal à trouver des femmes en burqa (on en voit passer plusieurs). Il me semble tout à fait étonnant d’aller tourner un film sur les lieux exacts où l’action est censée se dérouler pour obtenir un résultat finalement factice. Mais ce n’est pas vraiment une question cinématographique, c’est la question du tourisme : le touriste n’est pas un voyageur, il ne veut pas voir un pays, il veut être dans la carte postale, dans l’idée qu’il se fait du pays.

Les cyber-policiers turcs sauvent Hope et lui proposent une nouvelle identité, loin de tous ceux qui veulent sa peau. Mais elle a un autre plan : pourquoi ne pas piéger les piégeurs et mettre les mafieux russes en prison ? Les cyber-policiers n’y avaient pas pensé, ils se laissent convaincre. Le traquenard fonctionne : James et le docteur Kavak emmènent Hope à la banque où elle doit récupérer des bons au porteur (elle avait converti l’argent virtuel en obligations). Mais aussitôt, le trio se fait kidnapper par la mafia.
Le méchant russe est heureux de récupérer sa fortune mais il se sent obligé de tuer Hope malgré tout : Qui me respectera si je ne le fais pas ? Police, coups de feu, confusion, le russe meurt carbonisé dans sa Mercedes avec son argent. Hope a pris une balle dans l’abdomen, elle est morte. Tout le monde va en prison.
Dans l’ambulance qui emmène le cadavre de Hope, nous découvrons que celle-ci est en pleine forme, elle avait utilisé un dispositif de cinéma pour simuler une blessure par balles. Ouf. Roxelana donne à Hope un nouveau passeport, avec un nouveau nom. Elle s’en va avec un secret : en fait elle a gardé cinq millions de dollars, tout l’argent n’avait pas brulé. Fin.

Parmi les aspects relevant de la cyberculture, j’aime beaucoup une scène où Hope Cassidy invente un moyen pour ouvrir un compte en banque sans papiers d’identité : elle utilise une version inconnue de Photoshop pour insérer sa photographie dans une image qui représente le directeur de la banque (dont elle vient de pirater la boite mail) à côté d’une autre femme. Le plan est ici d’impressionner les employés de la banque (elle connait le directeur) pour qu’ils oublient de lui demander son passeport lorsqu’elle dépose quatorze millions de dollars sur son compte. Et ça marche. Le logiciel de retouche utilisé est assez étonnant car il parvient à effectuer la permutation des visages d’un clic, sans le moindre problème de raccord. Nous retrouvons là un amalgame fréquent au cinéma (cf. Die Hard 4 par exemple) : le hacker est doué pour manipuler les images.

L’interface de l’ordinateur ultra-sophistiqué des mafieux russes est intéressant aussi. L’opérateur fait face à un écran géant qui montre un objet en 3D filaire assez difficile à identifier : d’après les mafieux russes, il s’agit d’un système de sécurité informatique. On pense plus spontanément à une version simplifiée du plan de l’étoile noire dans Star Wars. Mais pour Hope Cassidy, pas de problème, elle sait tout de suite où elle arrive : trois clics, et hop, elle identifie une faille de sécurité ici, elle en bouche une autre là, etc. Nous tombons là sur un problème récurrent des films ayant un rapport avec la culture informatique : comment montrer ces choses ? La sécurité d’un système est quelque chose de terriblement ennuyeux, d’assez peu graphique et, aussi, de tout petit. Il faut donc magnifier tout ça à coup d’interfaces playskool et high-tech censées évoquer le jeu vidéo notamment. Des grosses boites d’alerte très voyantes clignotent avec des messages absurdes : le compte en banque qui se vide cent par cent (figure très courante au cinéma), le système qui annonce être « sécurisé à 98% », le système qui explique qu’une brèche de sécurité a été trouvée, le mot de passe qui est en cours d’analyse (piqué à Wargames), etc.
Une célèbre marque de systèmes d’exploitation pour PCs a offert à la production un « smart-phone » qui est régulièrement utilisé dans le film. Il sert notamment à enregistrer la voix d’un maffieux pour passer un verrou à commande vocale et à pirater le système de vidéo-surveillance de la villa des russes.
À propos de caméras vidéo, de nombreuses images de type « caméra de vidéo-surveillance » sont montrées au fil du récit. L’effet se veut oppressant (on nous surveille) mais il se révèle complètement gratuit, ces images ne jouant pas le moindre rôle dans l’histoire. Enfin presque, car la dernière seconde du film montre une « salle de contrôle » d’où l’on semble surveiller Hope Cassidy dans son avion. Mouais.

Il y a bien d’autres fausses-pistes scénaristiques et notamment l’emploi de personnages qui disparaissent dans la nature ou qui décèdent sans qu’on apprenne jamais qui elles étaient réellement et quel pouvait être le but de leur intervention.

Très généralement, le scénario est paresseux. Les deux premiers tiers du film ont la forme d’un flashback pendant lequel Hope raconte ses malheurs au docteur Kavak, en voix-off ou depuis sa cellule artistiquement éclairée façon Midnight Express. Cette forme du flashback qui mène à un dénouement se retrouve souvent dans les séries télévisées. J’ai souvent eu le sentiment que cette structure est employée pour meubler, pour rallonger une sauce médiocre. L’insertion de scènes situées dans le présent du narrateur (ici les scènes de prison où Hope explique son histoire au docteur Kavak) permet de gagner du temps avec des séquences inutiles et permet de passer outre les exigences de fluidité d’un montage qui se déroulerait uniquement dans le présent du narrateur. Ne parlons pas des cartes postales d’Istambuls — couchers de soleil, vues du Bosphore et de Sainte-Sophie — régulièrement utilisées aussi pour meubler.
Le montage relève généralement du « cache-misère » : les scènes d’action son filmées en plans rapprochés et/ou la caméra de traviole et de nombreuses séquences sans intérêt sont diffusées au ralenti.

Vous l’avez compris, The Net 2.0 est un film épouvantable, nettement moins soigné que bien des épisodes de séries télévisées, bien éloigné de son prédécesseur The Net qui était plus intéressant à tous les égards. Le thème de l’importance du monde virtuel dans la vie réelle (si je disparais de toutes les bases de données je n’existe plus) était plutôt moderne il y a dix ans, il est « cliché » aujourd’hui. Il n’y a eu aucune mise-à-jour des questionnements (malgré le 2.0 du titre) et la seule différence entre The Net et The Net 2.0, c’est l’emploi de la Turquie comme cadre. Ce déplacement devrait augmenter l’angoisse du spectateur mais c’est un peu le contraire qui se produit car The Net 2.0 est essentiellement un film de touriste : oh la belle mosquée, oh la belle place pleine de cafés branchés. oh le joli coucher de soleil, oh les derviches-tourneurs… Le reste n’est qu’une histoire de bagages perdus ou de problèmes administratifs comme en rencontrent tous les touristes.

Bien qu’il émane de Sony Pictures, une grosse maison de production, ce film a été fait de manière très légère, en très peu de temps, avec les moyens du bord et en décors naturels. Régulièrement pendant le tournage, la police turque a été appelée par des passants qui avaient cru être témoins de meurtres sanglants, d’accidents mortels ou de courses-poursuites : ils n’avaient pas remarqué les caméras. Un film tourné en catimini et sans moyens comme seule la DV les permet.
Je crains que ce fait extérieur au récit constitue ce qu’il y a de plus intéressant à dire sur le film. Est-ce que cela aurait couté plus cher d’utiliser un bon scénario, de réfléchir à ce que ces moyens « légers » permettaient réellement, ou de les inclure au récit ? Apparemment.

Heureusement que je suis là pour regarder les très mauvais films à votre place, hein !
Je viens de vous faire économiser une heure et vingt-huit minutes.

  1. Le film The Net a par ailleurs été décliné sous la forme d’une série télévisée assez médiocre, Traques sur Internet. []
  1. 8 Responses to “The Net 2.0”

  2. By Wood on Juin 26, 2008

    Tiens, il faut que tu ailles voir « Diary of the Dead », le dernier Romero, au fait. C’est tout à fait le genre de film que tu pourrais chroniquer ici.

    C’est un film de zombies, bien sûr, mais c’est un film sur le cinéma et sur la vidéo sur internet façon youtube, sur le fait que tout le monde devient reporter, etc, etc…

    Pas toujours très subtil mais à voir.

  3. By Jean-no on Juin 26, 2008

    Oui, ça donne envie, de même que le dernier Brian de Palma, Redacted, et puis (quelques crans au dessus a priori), le dernier film de l’excellent Atom Egoyan, Where the Truth Lies.

  4. By Wood on Juin 26, 2008

    Sinon… des femmes en burqa à Istanbul ? Ils ont dû confondre avec Kaboul (ça sonne presque pareil)… A Istanbul voit des femmes en foulard, ça oui (plus ou moins selon les quartiers), mais rien qui cache le visage.

  5. By Jean-no on Juin 26, 2008

    Oui, le réalisateur expliquait qu’il avait eu un mal fou à en trouver, et que ça scandalisait les turcs de l’équipe qui lui ont dit que ça n’était pas du tout typique. Lui-même dit d’ailleurs qu’il aurait eu moins de mal à trouver des femmes en burqa à Londres par exemple. Et pourtant il a ressenti le besoin impérieux de glisser ces images… Étonnante tournure d’esprit.

  6. By Aicha on Juil 22, 2008

    j’ai bien aimé le film en général qui m’a donné plein de souvenirs de mon passage a Istanbul avec les scènes du Bosphore, de Sainte Sophie et de Dolmabache Palace(Galata), par contre les erreurs kon peut relever sont en sus de la dame en burga, qui ne se voit pa du tout dans les rues d’Istanbul, sont la soit disante mort de Hope et celle du gars qui sest infiltré chez Roxalene qui est restée sans suite.

  7. By Jean-no on Juil 22, 2008

    Oui, le scénario n’a pas l’air complet sur certains détails et le film est un peu une carte-postale…

  8. By amel on Juil 21, 2009

    j’adore ce film

  9. By Barraki on Nov 11, 2009

    On pourrait parler de premier nanar 2.0

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